Lettre à notre précesseur... je vous laisse la découvrir.

NB : Tous les prénoms ont été changés.

"Salut Laurent,

cela fait très longtemps que je veux t'écrire et à chaque fois je retarde le moment car je sais que cela me prendra du temps... plus le temps passe, plus j'ai de choses à dire et moins j'ai le temps... ;-)

Pour répondre à la question de la croix gammée, il s'agissait de Guillaume... pas si surprenant, maintenant qu'on a appris à le connaître. Il est toujours dans la contestation, a cessé de venir en cours car il n'aime pas Jérôme, les rares fois où il vient, il se comporte très mal etc. Mais Maud nous a dit que tu avais aussi eu des soucis avec lui et que quasiment personne ne l'aime. Ce n'est donc pas relatif à Jérôme. (1)

En ce qui concerne le système universitaire chinois, nous sommes profondément déçus. Autant ma scolarité au "gaozhong" avait été un choc culturel mais je respectais vraiment le système, autant l'éducation dans cet institut privé ne vaut rien.
Généralisons notre propos (ce n'est pas bien mais cela reflète vraiment nos sentiments) : les professeurs sont notés par les étudiants donc ils veulent être "amis" avec eux pour avoir de bonnes notes, ce qui les intéressent c'est leur place au sein de l'université et leur salaire, et non le progrès des étudiants. Chez les étudiants, il y a environ deux catégories : ceux qui viennent de familles riches, qui veulent des bonnes notes sans travailler et qui trouveront un emploi grâce au réseau de leurs parents ; et il y a ceux qui viennent de la campagne, qui étudient sérieusement et qui s'inquiètent pour leur futur. Bien entendu, tout le monde ne rentre pas dans ces cases.
Nous (comme toi certainement) qui nous soucions de faire évoluer les étudiants, de les remotiver, nous cherchons des compromis entre les demandes de l'université et des manières plus ludiques d'enseignement. Pour cela, nous faisons des recherches, nous nous heurtons souvent à la censure (...), travaillons beaucoup... Quand nous corrigeons des devoirs, nous expliquons soigneusement les erreurs de chacun-e (orthographe, conjugaison, grammaire, ponctuation etc). Nous enseignons non seulement de la grammaire, du vocabulaire... mais aussi de la civilisation française.
Bref, comme dirait Michel : "Vous travaillez tout le temps !" (2)
Nous mettons de vraies notes, des bonnes aux bons devoirs, des mauvaises aux mauvais devoirs... ce qui révolte nombre de ces enfants rois. Alors que nous sommes en période d'examens actuellement, les étudiants prennent du bon temps... à quoi bon réviser, on leur donnera des bonnes notes, ils auront leur diplôme et se retrouveront sur le marché de l'emploi.... sans avoir les capacités nécessaires pour leur spécialité.

C'est une véritable mascarade, tout le monde ferme les yeux par opportunisme et continue d'oeuvrer pour le paraître.
La preuve ? L'université a été inspectée au mois de juin... le grand jeu était de sortie pour gagner de l'argent. Certaines étudiantes étaient fières de nous annoncer que le professeur de lecture extensive avait parlé en français, que les étudiants avaient participé en français etc. (ce qui n'est pas de l'ordre du réel, c'est même tout le contraire de ce qui se passe quand Jérôme assiste à ce cours). Le pauvre a malheureusement tout de même été mal évalué et l'administration l'a viré.
S'ajoute à tout cela : le quota de 20% de mauvaises notes à ne pas dépasser, les notes qui seront modifiées après coup, les examens que l'on dévoile plus ou moins avant le jour J (ce que j'ai refusé de faire, la 3e année 1 en était très mécontente car "Laurent avait expliqué l'examen"... Heureusement que j'ai discuté avec Laure qui m'a soutenue). (3)

Nous essayons de ne pas trop nous laisser atteindre par tous ces travers et de voir les aspects positifs. J'ai réussi à remotiver certain-e-s étudiant-e-s (en deuxième année par exemple, si tu te souviens, Carine, Mathilde...) et l'ensemble de cette classe a vraiment progressé. C'est un véritable plaisir de faire cours avec eux, ils se sont activés et à présent ils participent, essayent de s'exprimer en français, ont des idées originales...
Les 2e année de Jérôme ne sont pas forcément assez acteurs dans la classe, mais ils sont respectueux.

En 3e année, c'est une autre histoire. Dans la classe de Jérôme (3e année 2) la participation et la motivation viennent surtout du trio de choc Ophélie-Valérie-Maud. Quant à ma classe, mon ressenti était assez mitigé : certaines personnes sympas, d'autres inintéressantes ou encore avec lesquelles j'avais des relations tendues. C'est le cas avec Déborah qui n'a pas semblé aimer la transition Laurent - Anne-Cécile (il parait que tu la subjuguais ^^), qui ne jure que par la grammaire et ne supporte donc pas que j'accentue avant tout la communication, l'apprentissage de connaissances culturelles etc. et par dessus le tout qui n'admet pas de ne pas être la première de la classe.
L'ambiance tirait la classe vers le bas, mais je tentais de garder le moral grâce à certains éléments moteurs...

Jusqu'à ce que je découvre le pot aux roses ! Cette classe ne cesse ses coups bas, commérages malfaiteurs derrière mon dos, diffusions de messages odieux sur Jérôme et moi via "Ren Ren"(5)... les professeurs (dont Cheng Yi(6)) lisent ces commentaires, se posent des questions, l'administration n'est par conséquent pas satisfaite de nous... malgré tout le travail que nous fournissons ! Les caprices des enfants rois valent plus que tout. Nous dérangeons car nous ne fermons pas les yeux sur la corruption de cet institut, nous faisons part de nos observations dans l'espoir d'améliorer l'éducation des étudiants. Vaine tentative !
Une des premières responsables de tout ceci étant Camille ! Camille, que j'aide gratuitement depuis mon arrivée pour le CELA, à qui j'ai corrigé tous ses sujets-type (je les ai même retapé à l'ordinateur pour qu'elle ait un exemplaire propre), à qui j'ai fait passer des entretiens blancs très régulièrement, qui m'aidait même en chinois, en qui j'avais confiance... Dans ce jeu, il y a bien sûr des personnes comme Léa, Stéphanie mais aussi Jules(7), Mona etc. Et ces personnes n'auraient pas seulement cassé du sucre sur mon dos mais aussi sur le tien ! Camille y était également impliquée, de même que Jules... Gros choc pour moi. J'apprends par la suite que même Michel et sa femme se seraient fait critiquer par Camille (j'ai averti Michel)... C'est tout simplement hallucinant ! Que d'hypocrisie ! Je crois que tu t'es donné du mal pour rien à recruter d'autres professeurs pour tes chers élèves... et nous, nous sommes aussi tombés dans le panneau.
Je suis tout simplement écoeurée. Mais je ne peux pas dire grand chose pour protéger mes informateurs.
Pour sûr, nous ne renouvellerons pas notre contrat, nous ne resterons pas et nous ne chercherons pas de successeurs.

Par chance, nous avons quelques admirables étudiantes :
- Typhaine, Elisabeth, Rebecca, Aurélia (par exemple en 2e année classe 1) : très studieuses, actives, agréables...
- La liste est longue pour ma classe de 2e année qui semble prête à me soutenir dans cette tornade (Angélique la déléguée y est pour beaucoup). Je les adore.
- En 3e année classe 2, le trio fantastique Ophélie-Maud-Valérie. Ophélie a énormément progressé en français et est devenue une de mes amies (...). Maud est fidèle à elle-même : passionnée et passionnante, amusante, détournée des conventions de la société... mais il lui est arrivé de craquer (pleurs, colère) à cause du manque d'intérêt et de gratitude de ses camarades de classe. Nous fréquentons moins Valérie car elle a d'autres priorités (master d'anglais, amour...) mais elle demeure une excellente étudiante très sympathique.
- En 3e année classe 1... qui ne participe pas au lynchage ? Qui est sympa ?
Je suis très reconnaissante envers Adeline qui (malgré des difficultés à l'écrit) est une de mes meilleures étudiantes : active, adorable, intéressante, qui participe très régulièrement au coin du français...
Clémentine : discrète mais respectueuse
Eve (qui s'appelait Victoire quand tu étais en Chine) : de grosses difficultés en français, mais cela ne l'empêche pas d'être active (même très active parfois), sympathique, amusante (particulièrement au coin du français).

Désolée pour ce long pavé mais je pense que je devais t'en faire part.

(...)

Pour ce qui est du concours de théâtre, je reste motivée mais il va falloir que je remotive Laure qui a été dégoûtée l'an dernier. Par ailleurs, il y a des personnes avec qui je ne voudrai pas travailler (certaines de 3e année, si tu vois ce que je veux dire). Je te tiendrai au courant...(8)"

Pour recontextualiser certains propos :

(1) Extrait de mon e-mail précédent : "Jérôme a eu un souci d'un autre ordre... un étudiant de troisième année s'est rasé la tête de sorte à ce que sa chevelure représente un signe : le signe nazi. (Et non le signe bouddhiste, nous en sommes sûr-e-s). C'était un peu délicat à gérer. Nous avons profité du coin du français pour, en petit comité, faire un point d'histoire et également rappeler que nous n'acceptons pas de remarques racistes, discriminantes lors de nos cours. Il y avait à plusieurs reprises eu des remarques véhémentes concernant les Japonais-e-s."

(2) Michel : ami français d'Harbin que Laurent connait aussi

(3) Laure : autre professeure, enseignant à Harbin, que Laurent connait aussi

(5) "Ren Ren" : réseau social équivalent à "Face de bouc"

(6) Chen Yi : ancienne assistante de Laurent

(7) Jules : délégué de la classe dont Laurent m'avait fait l'éloge

(8) Laure et Laurent avaient organisé un petit concours de théâtre l'an dernier. J'avais l'intention de reprendre ce projet mais Laure a perdu la motivation à cause de tous les obstacles dressés par son université (où se déroulait la compétition).

PS : le CELA, c'est un examen oral de demande de visa pour les étudiant-e-s chinois-e-s souhaitant poursuivre leurs études en France. J'ai beaucoup aidé cette étudiante bien qu'en arrivant à Harbin, j'ignorais tout des modalités de cet épreuve. Laurent avait déjà passé beaucoup de temps avec Camille l'année dernière mais elle avait échoué au CELA.

Alors alors... quels sont ces "messages odieux" ?

- Nous sommes qualifiés de "shabi" et autres, ce qui veut à peu près dire "connard".

- Nous venons de la campagne et "La campagne, c'est la campagne." (dixit Camille) Nous sommes des paysans. ... avec tous les sous-entendus que vous pouvez imaginer. En somme, nous avons beau avoir fait des études, réfléchir un minimum, et essayer de dispenser des cours de qualité, nous restons à leurs yeux des "ploucs". C'est d'autant plus intéressant car je ne me définis pas comme venant de la campagne. Mais le simple fait de ne pas être d'une grande ville fait de nous des "bouseux". Ah quelle ouverture d'esprit !

- Bien entendu... nous sommes pauvres, bien que certain-e-s estiment que je m'habille bien. Nous sommes pauvres mais nous tentons de nous faire passer pour des riches. Attention attention nous sommes avant tout pauvres ! Vous avez dit que la population chinoise est communiste ? Elle est hyper-capitaliste, oui !

- Nos examens les crèvent à mourir. A cause de nous, ils ne réussiront pas leur semestre. Désolé-e-s, nous n'offrons pas de bonnes notes à qui le veut... elles se méritent.

- Ils désirent notre mort... Rien de plus normal après ce que vous venez de lire, non ?!

Je tiens à ajouter que même si les messages que l'on m'a montré englobaient "Jérôme et Anne-Cécile", il semblerait que je sois la principale concernée par cette haine.

Puis-je encore croire "aux jeux de face" (savoir-faire communicationnel chinois que je pourrais décrire une autre fois) ? Pour moi, cela relève de l'opportunisme et de l'hypocrisie, ou encore de "sournoiseries" (selon la professeure Laure).

Nous sommes fort-e-s ! Ne vous en faîtes pas pour nous !

Le quotidien est fait de découvertes... nous ne nous ennuyons pas !

;-)

Je vous embrasse,

Anne-Cécile

L'heure de vérité !

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